3-4 Dec 2015 Nice (France)
Exclamation et intersubjectivité en allemand
Anne Larrory  1@  
1 : Centre d'études et de recherches sur l'espace germanophone  (CEREG EA 4223)  -  Website
Université Paris III - Sorbonne nouvelle, Université Paris Ouest Nanterre La Défense
13 rue de Santeuil 75005 Paris -  France

 L'énoncé exclamatif a pu être décrit comme monologique (cf. pour l'allemand Valentin 1989). On constate d'ailleurs, à l'appui de cette thèse, que le monologue intérieur est un de ses contextes privilégiés d'apparition dans les récits littéraires et qu'il peut même en signaler l'ouverture.

Dans le cadre de cet exposé, nous examinons toutefois, à partir de données de l'allemand (corpus écrit, quelques exemples oraux) des éléments plaidant en faveur d'une valeur intersubjective de l'énoncé exclamatif, que défendent d'autres auteurs (Gaubert 2001, Bacha 2000, Kerfelec 2009, Guillaume & Baumer 2014).

Après avoir proposé une définition selon laquelle l'énoncé exclamatif est un type d'énoncé associant certaines configurations de marquages (syntaxiques, lexicaux, prosodiques) et une fonction, celle du commentaire, sur un mode affectif, d'un état de choses déjà réalisé (Larrory 2004), nous nous penchons d'abord sur des cas d'énoncés exclamatifs associés à des phénomènes de répétition dans l'interlocution (‘énoncés-échos'), qui nous semblent à la fois pouvoir permettre de mettre à jour la spécificité de la fonction exclamative comme commentaire affectif et révéler sa dimension intersubjective. L'énoncé exclamatif en écho manifeste en effet un hiatus intersubjectif entre des représentations portées par différents énonciateurs : la représentation portée par un énoncé d'un locuteur A se retrouve, par le phénomène de reprise, présentée comme entrant en contradiction avec l'« univers de croyance » (Martin 1987) du locuteur B qui s'exclame. Mais l'énoncé-écho peut également se trouver dans un contexte monologique, manifestant alors un dédoublement du locuteur en plusieurs instances énonciatives. Un cas particulier de reprise est constitué par la forme exclamative en und en allemand (analysée récemment comme une « construction » au sens de la grammaire de construction, cf. Bücker 2012) ich und neidisch ! (litt. ‘moi et jaloux!' / jaloux, moi !), qui est très souvent associée à la reprise de propos.

Après avoir observé le cas particulier de la répétition, dans lequel la dimension intersubjective se trouve particulièrement exhibée, nous nous penchons ensuite sur des contextes d'emploi moins étroits dans lesquels on peut observer d'autres formes exclamatives. A la suite de Gaubert (2001), pour qui le locuteur qui s'exclame, en produisant un énoncé tronqué et en « ne fourni[ssant] qu'une partie des informations nécessaires à la désignation complète des états de choses perçus », sollicite de l'interlocuteur un « effort de représentation », nous défendons la thèse que les exclamatives peuvent être interprétées comme invitant, par divers moyens, à partager un point de vue ou une représentation. Si l'incomplétude caractérise la plupart des formes exclamatives, l'appel à partager une représentation nous semble pouvoir être repéré particulièrement dans certains marquages observés en contexte : l'emploi du négateur nicht associé au quantificateur alles dans les énoncés en w-, l'emploi de vielleicht exclamatif (Du bist vielleicht einer !, litt. ‘Tu es peut-être quelqu'un !'), les énoncés exclamatifs en wenn (Wenn das keine Meisterleistung ist ! ‘si ce n'est pas un exploit !').

Enfin, au-delà des formes grammaticales de l'exclamation proprement dites, certaines formes figées employées en association ou de manière semblable à des exclamations révèlent une affinité entre exclamative et injonctive : Stellen Sie sich vor / Stell dir vor (‘imaginez-vous' / ‘imagine-toi', formes déjà relevées par Gaubert 2001), sieh mal / gucke mal (‘regarde un peu') ou encore (nous semble-t-il) dass ich nicht lache! (Laisse-moi rire !) Cette affinité assez inattendue invite elle aussi à reconsidérer le rôle d'un allocuté réel ou imaginaire pour l'énoncé exclamatif.

 

Références bibliographiques :

 

BÜCKER, Jörg. 2012 : Sprachhandeln und Sprachwissen: Grammatische Konstruktionen im Spannungsfeld von Interaktion und Kognition. Berlin, de Gruyter.

GAUBERT, Claude. 2001 : Les énoncés exclamatifs en allemand moderne. Thèse de doctorat (nouveau régime). Université de Rennes II Haute Bretagne.

GUILLAUME, Bénédicte & BAUMER, Emmanuel. 2014 : « Expression de l'exclamation en anglais au moyen de marqueurs atypiques ». CORELA 12-2.

KERFELEC, Valérie. 2009. L'exclamation en français et en anglais. Formes, sens, effets. Aix-en-Provence : Publications de l'Université de Provence.

LARRORY, Anne. 2003 : « Vielleicht exclamatif », Nouveaux cahiers d'allemand, 2003/3, p. 325-337.

LARRORY, Anne. 2004 : « Mehr oder weniger exklamativ? Wie kann man Exklamation definieren? » In : M. Krause / N. Ruge (eds), Das war echt spitze! Zur Exklamation im heutigen Deutsch (= Eurogermanistik, 21), Tübingen, Stauffenburg, p. 1-14.

LARRORY, Anne. 2006 : « Partition et quantification dans les énoncés exclamatifs en allemand ». In : G. Kleiber / C. Schnedecker / A. Theissen (eds) : La relation partie-tout, Louvain / Paris / Dudley, Peeters, 2006, p. 303-318.

MARTIN, Robert. 1987 : Langue et croyance. Les « univers de croyance » dans la théorie sémantique. Bruxelles, Pierre Mardaga.

VALENTIN, Paul. 1989 : A propos des énoncés exclamatifs allemands. In : E. Faucher / F. Hartweg / J. Janitza : Sens et Être. Mélanges en l'honneur de J.-M. Zemb. Nancy, Presses universitaires, pp. 243-248.


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